Deschambault-Grondines

En 2002, deux villages anciens de la rive nord du fleuve Saint-Laurent, entre Québec et Trois-Rivières, fusionnent pour former la nouvelle municipalité de Deschambault-Grondines.

Jadis simples voisins, les deux mille résidants des villages fusionnés deviennent partenaires dans la construction de Deschambault-Grondines, lieu de culture, d'accueil et de mémoire.

Un territoire habité

Longeant le fleuve Saint-Laurent sur plus de 20 kilomètres, le territoire de la municipalité de Deschambault-Grondines représente une superficie d'environ 125 kilomètres carrés. Cette portion des basses terres du Saint-Laurent repose sur une grande formation de roche sédimentaire, un calcaire d'ailleurs largement utilisé dans les constructions locales. Paysage fluvial marqué par le système seigneurial et l'agriculture, le territoire de la municipalité recèle les traces des milliers d'hommes et de femmes qui y ont vécu et qui s'y sont investis corps et âme.

Il est permis de croire que des Amérindiens ont fréquenté la région à l'époque paléoindienne, au moment où la mer de Champlain s'est retirée, il y a environ 10 000 ans. Les premières preuves d'occupation du territoire portneuvois sont cependant apportées par les fouilles menées à Saint-Augustin. La plupart des outils qu'on y a trouvés « sont caractéristiques de la période appelée Archaïque laurentienne qui s'étend entre 1000 et 4000 avant Jésus-Christ ».1

À Deschambault, le site Masson fait foi de l'implantation des Iroquoiens du Saint-Laurent. « Selon l'archéologue José Benmouyal, ce lieu aurait été occupé entre 1450 et 1520 pendant quelques années. Ce village non palissadé, situé sur une ancienne terrasse marine d'une élévation de trente mètres au-dessus du niveau de la mer, comprenait trois ou quatre maisons longues et une maison plus petite. Il aurait abrité de 150 à 200 personnes. » 2

1. Camille Lapointe, « Archéologie portneuvoise », Continuité, été 1991.
2. Camille Lapointe, « Archéologie portneuvoise », Continuité, été 1991.


Un premier visiteur

« Le premier Européen à fouler le sol de Deschambault fut Jacques Cartier, lors de son deuxième voyage, en 1535. Le 19 septembre, une dizaine de jours après son arrivée à Stadaconé, il repartit vers Hochelaga à bord de l'Émérillon. À la hauteur du site de Deschambault, il fut arrêté par des rapides et dut attendre la marée haute. Non loin de là s'élevait une bourgade nommée Achelay dont le chef fit grand accueil à Cartier. » 3

3. Deschambault sur le fil du temps, Éditions Va Bene, 2002.


Une autre habitation de Champlain

Le 24 juin 1603 (fête de la Saint-Jean), Champlain passa à Deschambault, 68 ans après la visite de Cartier. C'était son premier voyage dans la vallée du Saint-Laurent et il n'allait fonder Québec que cinq ans plus tard.

Le pays le séduit et il est particulièrement frappé par l'aspect du fleuve qu'il décrit ainsi : « Ce passage est fort dangereux à passer pour quantité de rochers qui sont au travers de la rivière, bien qu'il y aye bon achenal lequel est fort tortu, où la rivière court comme un ras, et faut bien prendre le temps à propos pour le passer ». Les rapides Richelieu seront, jusqu'au milieu du XIXe siècle, un important obstacle à la navigation sur le fleuve.

À l'été 1633, après avoir repris possession de Québec occupé pendant trois ans par les marchands anglais, Champlain vit la possibilité de créer de nouveaux établissements dans la colonie. Et c'est précisément sur l'îlot, au milieu des rapides auxquels il donna le nom de Richelieu, qu'il installa le premier poste de traite en amont de Québec. Très vite, des Amérindiens y viendront pour échanger des pelleteries. Champlain fera fortifier cet endroit, car il permet de contrôler le passage sur le fleuve où circulent des maraudeurs iroquois.


Des seigneuries

Les seigneuries des Grondines et de Deschambault furent concédées à la même époque par la Compagnie de la Nouvelle-France dites Compagnie des Cent-Associés.

En 1637, la duchesse D'Aiguillon obtient la promesse qu'une seigneurie sera concédée aux religieuses de l'Hôtel-Dieu de Québec. C'est le père Jérôme Lallemant qui agira au nom des religieuses lors de la prise de possession de la seigneurie « Des Grondines », signée en 1646 par Charles Huault de Montmagny, gouverneur et lieutenant général pour le Roi de France. En 1672, la seigneurie sera agrandie vers l'Est en faveur des pauvres. La première confirmation y sera célébrée par nul autre que Monseigneur de Laval en 1676.

François de Chavigny, sieur de Berchereau, et demoiselle Éléonore de Grandmaison, sa femme veuve d'Antoine Bourdier, se voient accorder en 1640 une concession d'une lieue et demie de terre en large à prendre le long du fleuve Saint-Laurent sur trois de profondeur. Leur choix s'arrêtera sur les terres se trouvant aujourd'hui dans la partie est de Deschambault. Après le décès de Monsieur de Chavigny en 1651, Éléonore de Grandmaison épousera Jacques de Gourdeau, sieur de Beaulieu, puis après la mort de ce dernier, Jacques Cailhaut de la Tesserie de Lachevrotière. Ce n'est qu'après le décès de Monsieur de Lachevrotière qu'elle obtient, en 1672, la concession des terres enclavées entre la seigneurie des pauvres de l'Hôpital de Québec et le fief de Chavigny.


Des noms ancrés dans l'histoire

Le nom de Grondines est fort ancien. Il apparaît sur une carte de 1632. En 1712, dans son rapport sur les seigneuries, Gédéon de Catalogne explique ce nom par le « grand nombre de battures de gros cailloux qui se trouvent au-devant, ce qui fait que, lorsqu'il vente, les eaux y font grand bruit ».

Pour sa part, Deschambault doit son nom à Jacques-Alexis Fleury d'Eschambault (1642-1715), époux de Marguerite de Chavigny. Cette dernière était la fille de François de Chavigny et d'Éléonore de Grandmaison, ceux-là mêmes qui avaient obtenu une concession en 1640.


Des bâtisseurs nés au pays

Les premiers colons qui viennent s'établir à Grondines et à Deschambault proviennent de familles déjà implantées en Nouvelle-France, sur la côte de Beaupré et à l'île d'Orléans. Bien que les terres soient concédées au milieu du XVIIe siècle, peu d'entre eux viendront s'installer de façon définitive avant 1670, car jusque-là, le climat politique ne favorise guère la colonisation; les Iroquois armés par les Hollandais de Fort Orange (Albany, N.Y.) constituent une menace trop importante.

Les Josson, Hamelin, Masson, Leduc, Couillard, Tousignant, Mailhot, Saint-Amant, Hudde, Chastenay, Sauvageot choisiront Grondines; les Arcand, Naud, Mayrand, Cloutier, Gauthier, Gariépy s'installeront à La Chevrotière; les Pérost, Paquin, Groleau, Abel dit Benoit et Montambault s'établiront à Deschambault. En 1709, l'ingénieur Gédéon de Catalogne dénombre 35 familles à Grondines, 22 à La Chevrotière et 18 à Deschambault. En 1762, les trois seigneuries comptent 663 âmes.


Un territoire organisé

« La première occupation du sol en Nouvelle-France s'est effectuée par l'intermédiaire d'une unité territoriale, une sorte d'unité de voisinage, qui s'est appelée la côte et par la suite le rang. Au début, la côte est riveraine et désigne des alignements de censives disposées perpendiculairement ou presque aux rives des cours d'eau. Lorsque les berges furent occupées, un second alignement se répéta derrière le premier, relié à celui-ci par un chemin appelé Montée. Un troisième, un quatrième, un cinquième alignement pouvaient suivre dans cet ordre. [...] Ce milieu sera ainsi organisé physiquement par le parcellaire du rang, socialement par la paroisse et administrativement par la seigneurie. » 4

L'unité administrative, aujourd'hui reconnue comme étant la municipalité de Deschambault-Grondines regroupe les trois premiers rangs de quatre seigneuries, soit celles des religieuses de l'Hôtel-Dieu, des pauvres, de La Chevrotière et de Chavigny ou Deschambault. Deux paroisses viendront rassembler les habitants : Saint-Charles-des-Roches ou Grondines, dont les registres ont été ouverts en 1680, et Saint-Joseph-de-Deschambault, dont les registres ont été ouverts en 1713. Si la paroisse renvoie aujourd'hui au territoire associé à la gestion d'un Conseil de fabrique, il n'en demeure pas moins que l'organisation du milieu physique conserve toutes les traces de ce pôle ayant pour centre l'église et ses clochers.

4. Jean-Claude Marsan, Habitat, architecture et culture au Québec, Encyclopédie de l'Agora.


Un riche patrimoine religieux

Le patrimoine religieux figure au premier rang parmi les témoins de l'établissement et de l'enracinement des communautés de Grondines et de Deschambault. L'héritage de la tradition catholique est certes concrètement visible (églises, presbytères, cimetières, couvents, croix de chemin et calvaires), mais il s'exprime aussi à travers des phénomènes qu'on rattache au patrimoine immatériel. À ce chapitre, des efforts sont consentis pour la transmission de certaines traditions comme la messe de minuit, la musique sacrée et le chant grégorien.

Les communautés religieuses vouées à l'enseignement ont grandement contribué, non seulement à l'éducation des enfants, mais aussi à la vie culturelle des villages au regard de la littérature, de la musique, de l'art dramatique, du dessin et de la peinture. Les soeurs de la Charité de Québec ont maintenu leurs activités à Deschambault de 1861 à 1994 et les religieuses du Saint-Coeur-de-Marie à Grondines de 1944 à 1966.


Un patrimoine architectural reconnu

« Dans Portneuf, un air de famille caractérise l'architecture. Les maisons - dont certaines parmi les plus anciennes au Québec - sont faites en pierre calcaire, un matériau abondant dans le sous-sol de cette région, notamment à Saint-Marc-des-Carrières et à Neuville. On retrouve à Deschambault, à Cap-Santé et à Neuville de nombreux bâtiments des XVIIe et XVIIIe siècles aux murs montés en moellons grossièrement équarris, coiffés de toits pentus, massés autour de très anciennes places d'église, ou disposés le long du chemin du Roy. Ces ensembles sont uniques. » 5

La reconnaissance acquise grâce au mouvement de sauvegarde et de mise en valeur du patrimoine qui perdurent depuis la fin des années 1960 a des effets tangibles dans la municipalité : dix édifices sont classés en vertu de la Loi sur les biens culturels du Québec; les aires de protection attachées à certains de ces édifices ont permis de conserver une cohérence dans l'aménagement du territoire; le Conseil des monuments et sites du Québec a adopté, en 1982, une charte de conservation du patrimoine québécois nommée Déclaration de Deschambault; la municipalité fait partie de l'Association des plus beaux villages du Québec depuis la fondation de ce regroupement en 1997; des maisons anciennes de Deschambault-Grondines trouvent des acquéreurs passionnés par la conservation du patrimoine chaque année, ce qui contribue à la reconnaissance de la municipalité tant pour ses qualités architecturales que pour la qualité de vie qu'elle offre à ses citoyens.

5. Yves Laframboise, Villages pittoresques du Québec, Éditions de l'homme,1996.